Penser une exploitation agricole en terme technologique semble à première vue une démarche paradoxale, voir totalement illusoire, tant on s’éloigne du coeur même de l’activité agricole. En fait, l’approche technologique proposée s’inscrit principalement dans un cadre de réflexion qui doit permettre une activité agricole dite secondaire.
Il semble impossible de penser une activité agricole secondaire ou accessoire sans imaginer une automatisation partielle de cette activité. La raison est simple : la production agricole est un processus continu, non interruptible alors que l’activité humaine secondaire associée à cette production, est un processus discontinu, interruptible, à capacité finie. Il est donc nécessaire de compléter les activités accessoires humaines par des activités automatisées et autonomes, ceci afin de couvrir l’ensemble du champ productif.
Pour l’automatisation partielle des activités, nous adopterons une approche dite “systémique” (cf. section 1). Puis, dans une deuxième étape, nous introduirons les notions de régulation (cf. section 2) ainsi que les contraintes liées au contexte (cf. section 3). Pour finir, nous introduirons le contexte “Industrie 4.0” (cf. section 4) en prévision de l’utilisation de certaines technologies.
1 - Exploitation agricole et approche système
A partir d’une approche systémique, une exploitation peut être représentée par un système complexe au même titre qu’une entreprise industrielle.
La production maraîchère est un système qui va transformer des matières premières en utilisant des ressources externes, des savoirs-faire, des activités humaines et des aléas.
Dans une exploitation maraîchère traditionnelle, c’est l’activité humaine (plus ou moins mécanisée) qui va contrôler le développement des produits avec un apport biologique (eau, engrais, ….) en complément/compensation des aléas/perturbations climatiques externes.
Dans une logique de semi-autonomie, la démarche est donc de déléguer une partie de cette régulation à des équipements spécialisés.
2 - La régulation dans le projet ERABLE
Sans chercher à être exhaustif, les actions de régulation dans le cadre de ce projet se positionnement autour de 4 thématiques principales:
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la Régulation hydrique et hygrométrique concerne l’apport en eau tant au niveau des sols que de l’air, en complément des précipitations climatiques,
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la Régulation photométrique concerne concerne l’apport en terme de luminosité,
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la Régulation calorimétrique concerne la régulation de la température,
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la Régulation nutritionnelle concerne l’apport en complément nutritionnel (type engrais).
Avant de formaliser de façon explicite les mécanismes de ces régulations, il convient de se poser les deux questions préliminaires à l’asservissement de n’importe quel système: le système à réguler est-il observable ? si oui, est-il commandable ?
La question de l’observabilité est évidente du point de vue du spécialiste dont le savoir-faire intègre intrinsèquement, l’observation visuelle de la croissance des plantes. Dans notre projet, la question est de savoir s’il est possible de formaliser ces observations et de les automatiser.
La question de la commandabilité est plus problématique, dans la mesure où le système intègre un processus naturel peu prédictible. Nous aborderons en détail ces questions selon le contexte de l’équipement qui sera mis en oeuvre.
3 - Au delà de la régulation, les contraintes dans le projet ERABLE
La question de la régulation n’est pas la seule problématique technologique du projet. En se positionnement dans un contexte de développement durable, il devient necessaire de réfléchir aux points suivants :
- La consommation en énergie et en ressource de l’exploitation,
- La distribution de la production réalisée.
Par ailleurs, le système (ie: l’exploitation au sens général) étant intégrée dans un système plus global qui est un système naturel, il convient aussi de réfléchir à la prévision et la réduction de l’impacts des aléas, notamment climatiques.
3.1 - La consommation de l’exploitation
La consommation de l’exploitation concerne tout ce qui est nécessaire à la production, à la gestion et à la distribution des produits. Il convient toutefois de distinguer la consommation des ressources en lien direct avec tous les équipements de l’exploitation, de la consommation des ressources en lien direct avec les produits.
Concernant les ressources pour les équipements, il s’agit principalement:
- de la consommation énergétique,
- de la consommation de matériaux,
- de la consommation de matières premières.
Concernant les ressources, il est nécessaire d’optimiser:
- la consommation en eau,
- la consommation en ingrédients (engrais, traitements spécifiques, …).
3.2 - La distribution et la logistique
la question de la distribution de la production est une question complexe qui, dans un contexte de développement durable, impacte à la fois les problèmes de consommation de ressources (cf section précédente) et les questions éthiques et sociétales. Ce dernier point sera abordé dans un chapitre spécifique. En revanche, du point de la technologie, on peut considérer que cette dernière peut agir sur :
- le stockage des produits,
- l’optimisation des déplacements et des livraisons,
- les mécanismes de paiement.
3.3 - La prévision et la réduction de l’impact des aléas
Comme nous l’avons indiqué précédemment, un des aspects technologiques concerne la prévision et la réduction de l’impact des aléas. Dans notre contexte, les aléas sont essentiellement des aléas climatiques. Ces aléas, qui sont par définition non régulables, peuvent avoir un impact destructif sur le système (l’exploitation ou la production). L’objectif de l’étude technologique est donc de prévoir à l’avance l’arrivée de ces aléas et d’en limiter l’impact par des mesures de protection.
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la prévision est fournie par des services météorologiques externes comme par exemple les alertes de Météo-France,
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la limitation d’impact est principalement assurée par des équipements de protection passifs (toiles, plaques semi-rigides, serres etc.).
4 - Pour aller plus loin
La page d’accueil du projet présente le projet ERABLE comme s’inscrivant dans un principe de développement durable tout en utilisant des technologies innovantes de l’Industrie 4.0. Pourquoi parler d’industrie 4.0 dans une exploitation agricole ?
Ceci est du au fait que nous souhaitons utiliser les technologies associées à l’industrie 4.0. Pour mémoire, ce concept est issu des axes stratégiques du gouvernement allemand. Il définit une nouvelle organisation des usines, également nommées “smart factories” ou usines intelligentes, afin de mieux servir ses clients, grâce à une flexibilité accrue de la production et l’optimisation des ressources.
Dans son livre blanc de synthèse en 2013 1, le GIMELEC identifie deux points clef de la démarche allemande:
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Le numérique et la flexibilité : ils se caractérisent par une communication continue et instantanée entre les différents outils et les postes de travail. L’utilisation de capteurs communicants apporte à l’outil de production une capacité d’auto-diagnostic et permet ainsi son contrôle à distance. La flexibilité de la production permet la personnalisation des produits (modification de ses caractéristiques) en fonction des demandes des clients par exemple.
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Des outils de simulation et de traitement de données puissants : le recueil des données produites par les différents éléments de la chaîne de production permet également de produire une réplique virtuelle de tout ou partie de cette chaîne afin de générer des simulations de procédés ou de tests, mais permet aussi de se familiariser avec des outils de travail ou encore de faciliter les réparations et la maintenance pour des non-spécialistes.
Il ne s’agit ici de considérer l’exploitation agricole comme une entreprise 4.0, mais d’utiliser certains concepts et certaines technologiques induites par cette approche. Les éléments seront abordés en détail, dans les chapitres consacrés aux équipements de l’exploitation. Sans être exhaustif, citons par exemple :
- le role de la maquette numérique,
- la simulation,
- les systèmes mécatroniques,
- IoT,
- l’ingénierie système,
- l’eco-conception.